De dimanche à mercredi de la semaine qui se termine, l’armée israélienne a conduit, dans notre région, c’est-à-dire le nord-est du pays, de très importantes manœuvres militaires. Ces exercices ont rassemblé entre 5 et 6 000 hommes provenant de toutes les unités combattantes. Il s’agit des plus grandes manœuvres entreprises par Tsahal depuis plus de six ans.
Elles étaient placées sous le commandement du nouveau chef d’état-major, le général Gabi Ashkenazi, qui a pris ses fonctions une semaine plus tôt, en remplacement de Dan Haloutz, démissionnaire.
Depuis le moment du déclenchement de l’Intifada, en septembre 2000, la conception de l’armée israélienne s’était éloignée de la préparation d’une guerre conventionnelle de grande envergure. Les exercices du type de celui pratiqué ces derniers jours avaient en conséquence été abandonnés au profit des activités antiterroristes et du combat urbain.
Il s’agissait aussi de concentrer les efforts et les moyens – qui ne sont pas infinis – de l’armée sur les menaces d’attaques non conventionnelles en provenance d’Iran et, dans une mesure moindre, de Syrie.
Le concept qui fut mis en vigueur à l’époque s’appuyait sur l’estimation qu’aucun Etat de notre région ne possédait la capacité de s’engager dans un conflit militaire conventionnel contre Israël. Ces déductions étaient largement fondées à la période où elles ont été réalisées, puisque les pays vecteurs potentiels d’une guerre avec l’Etat hébreu avaient soit conclu la paix avec lui, soit étaient-ils en phase de démembrement, ou ils étaient trop éloignés de nos frontières pour envisager une guerre conventionnelle. Soit encore, et c’est le cas de la seule Syrie, elle ne disposait plus des moyens financiers nécessaires afin de conserver une force armée compétitive et d’entraîner correctement ses personnels.
La défense territoriale n’était certes pas abandonnée par Jérusalem, mais elle était principalement confiée à l’aviation ainsi qu’à des troupes d’infanterie, qui venaient "se reposer" périodiquement à Metula des efforts qu’elles avaient fournis à Gaza et en Cisjordanie.
Parallèlement à ces dispositions, et comme je l’ai déjà écrit dans un autre article, un grand nombre d’experts israéliens et mondiaux, suivant des tendances stratégiques qui n’étaient pas forcément ridicules, commençaient à mettre en question jusqu’à la justification, à terme, de l’emploi des blindés et de l’aviation conventionnelle dans les conflits à venir.
Puis Israël s’est endormie sur ses certitudes, et la plupart des soldats de réserve ne furent conviés à aucun exercice sérieux durant plus de six ans. Jusqu’au jour où, totalement rendus à la vie civile, ils durent improviser la guerre, face aux roquettes du Hezbollah qui pleuvaient sur nos villes.
Le concept avait rouillé sur pied, mis en échec par les stratèges iraniens, qui firent des certitudes de Tsahal le meilleur usage possible, avec les conséquences que l’on sait.
En Israël, nous en sommes à apprendre nos leçons : avec, d’une part, les ingénieurs de l’industrie militaire, ayant enfin touché les crédits qu’ils réclamaient, qui s’emploient à plein volume à produire des parades contre les nouvelles armes tactiques en provenance de Russie. Et d’autre part, de nouvelles résolutions prises par l’armée, qui, comme le dit Amir Péretz, le ministre de la Défense, "a commencé à mettre en pratique les plans de travail pour 2007, qui prescrivent beaucoup plus d’entraînement que par le passé. Nous nous sommes embarqués vers une nouvelle orientation", termine Péretz.
De fait, la nouvelle conception en question est presque totalement basée sur les enseignements de la guerre du Liban. Ils obligent Israël tout autant que la Syrie. Pour Jérusalem, il s’agit d’ajouter un poste à ses priorités d’avant l’été 2006 : poursuivre la préparation à la guerre des étoiles, continuer les activités antiterroristes et, de plus, se préparer à une guerre classique quoique "new look".
Si l’air est lourd, dans la région, c’est que la possibilité théorique pour que l’axe syro-iranien se lance dans des opérations contre Israël est actuellement valide. Dans cette optique, il n’est pas question de nous refaire le coup de la provocation du Hezbollah et d’ouvrir une nouvelle guerre du Liban. Non, si un conflit devait éclater, il y a fort à parier que les Fous d’Allah y participeraient mais que la frontière libano-israélienne ne constituerait pas son épicentre.
Nous en sommes pour l’instant au "rééquilibrage stratégique" Syrie-Israël sur la base des enseignements libanais. Avec de l’argent tout d’abord : il coule à flots de Téhéran vers Damas pour accéder à l’objectif poursuivi. Une partie sert à acquérir des milliers de missiles antichars russes, de type Kornet et Metis, qui viennent de faire leurs preuves. Un contrat d’un montant de centaines de millions de dollars est en voie de paraphage final entre Damas et Moscou, en dépit des assurances du contraire, données par Poutine à Ehoud Olmert. Le reste des fonds sert à raviver le programme syrien de guerre non conventionnelle, programme articulé autour des missiles balistiques Scud, dont la portée a été augmentée à 400 kilomètres sur l’émulation Scud–D. De quoi couvrir le territoire israélien et donner du travail au Khetz.
Les pétrodollars perses servent également à remettre en état de naviguer la marine des Al-Assad, qui tombait en ruines depuis plusieurs années. On réhabilite à la hâte les vedettes surannées d’origine soviétique et on les équipe de la version iranienne du missile mer-mer et sol-mer chinois C-802. Celui qui a failli envoyer par le fond la vedette Hanit, dont les marins, mal renseignés sur la dotation du Hezbollah et sur la collaboration que lui fournissaient des unités chiites de l’armée libanaise, avaient négligé d’allumer leurs contre-mesures.
Le reste de l’argent islamique va à l’achat de roquettes de moyenne portée, dont celles, à fragmentation, qui avaient atteint Hadéra et la périphérie de Netanya.
Il convient de reconnaître que cette tentative de rééquilibrage est faite intelligemment par nos ennemis. Les fonds ne servent pas à rénover l’armée de l’air syrienne : cela coûterait trop cher et ne permettrait pas de se rapprocher efficacement du niveau du Khel Avir. Et puis, en juillet dernier, le Hezbollah a résisté à l’anéantissement sans disposer du moindre support aérien…
Peu de moyens, non plus, sont ventilés sur les blindés, pour des raisons similaires à celles qui concernent l’aviation. Les Iraniens dépensent en Syrie dans ce domaine juste ce qu’il faudrait pour occuper le terrain après l’affrontement, non pour remporter la victoire lors du choc central.
Dans ces conditions, ce n’est pas un hasard si Gabi Ashkenazi a passé le plus clair du temps qu’ont duré ces manœuvres auprès des parachutistes. Car l’idée guerrière des Irano-syriens, s’ils la mettaient en application, consisterait à lancer des dizaines de milliers de commandos armés de Kornet contre les positions israéliennes du Golan. Lors, cette arme redoutable présente plusieurs inconvénients majeurs pour les défenseurs : on peut la tirer de loin, donc inutile de chercher à tout prix le contact avec les Israéliens ; elle fait autant de ravages contre les chars que contre les hommes et les constructions. En un mot : un vrai fléau !
Les rumeurs d’un conflit se basent, entre autres, sur l’information fondée selon laquelle les Israéliens ont trouvé une parade efficace contre les Kornet, et qu’ils s’affairent à la mettre au point et à en équiper leurs troupes. La lucarne d’opportunité tactique favorable aux Syro-iraniens – d’après leur jugement – pour engager une action militaire contre Israël est donc de quelques mois ; ensuite, s’ils n’ont rien fait, leur énorme investissement tombera à l’eau.
Reste qu’à l’heure actuelle, il incomberait aux brigades d’infanterie, appuyées par les commandos israéliens, non aux Merkava, d’absorber le plus clair de la percussion de l’attaque planifiée par les stratèges iraniens et leurs adeptes syriens. C’est exactement à ce jeu de massacre que Tsahal s’est exercé cette semaine, en l’agrémentant, toutefois, de manœuvres qui ne feraient pas plaisir aux soldats syriens en cas de confrontation. Car, en stratégie, lorsque qu’une guerre est fondée sur l’emploi d’un seul type d’armement miracle et que l’adversaire vous est, globalement, supérieur dans tous les autres domaines militaires, vous prenez un risque énorme à vous lancer dans une aventure. Pour pouvoir espérer remporter, même de manière éphémère, quelque succès sur le terrain, il faut, au moins, que deux éléments jouent en votre faveur : la surprise et l’incapacité technique de l’adversaire à répondre à votre botte secrète.
Amir Péretz, "épie" l’ennemi syrien à la jumelle aux côtés de Gabi Ashkenazi…
Cette photo n’est pas truquée. Elle explique, mieux que n’importe quel raisonnement, pourquoi Péretz doit quitter le ministère de la Défense le plus rapidement possible.
Or, il suffirait à l’armée israélienne de prendre l’initiative des opérations, au cas où une confrontation lui semblerait inévitable ou même fortement prévisible, pour mettre en pièces les velléités bellicistes de l’axe Téhéran-Damas. Amir Péretz et Gabi Ashkenazi ont eu beau réciter en duo que "l’Armée de Défense d’Israël n’avait pas élevé son niveau de préparation (à la guerre) sur sa frontière septentrionale" et Ashkenazi de poursuivre en solo que "nous sommes prêts à toute éventualité, pas forcément de la part des Syriens", ces deux-là ne sont pas crédibles. La configuration du récent exercice disait exactement le contraire.
Et si Tsahal prenait l’initiative, avec ses hommes, ses avions, ses tanks, ses missiles à la pointe de la technologie, tous évoluant dans une sophistication de combat créant une efficacité contre laquelle l’axe du mal ne peut répondre que par des hara-kiris inutiles, on risquerait le pire. Si l’armée syrienne rompt les rangs en débâcle, Ahmadinejad pourrait pousser Al-Assad, déjà passablement isolé et déstabilisé avant de voir son armée défoncée par les Israéliens, à utiliser ce qui constitue son dernier recours : ses vieux Scud, rejuvénilisés, dotés d’ogives chimique ou biologiques.
Quelques milliers d’Israéliens pourraient, peut-être, payer de leur vie le chant du cygne de la mafia alaouite en Syrie. Cela, ce serait pour autant que les Khetz et les Patriot manquent les premiers missiles balistiques d’Al-Assad, ce qui est loin d’être sûr. Ce qui est certain, par contre, c’est que le tir du moindre Scud contre l’Etat hébreu signifierait, à coup sûr, cette fois, l’extinction de cette tribu d’assassins, et l’entrée du Moyen-Orient dans l’ère de la destruction massive efficace. Dans l’éventualité du tir d’un missile balistique contre notre territoire, l’état-major de Jérusalem ne disposerait plus du choix du type de réponse, mais uniquement de son degré de létalité et de destruction.